L'annonce de la réalisation d'un deuxième réacteur nucléaire EPR, puis, pour être agréable à GDF-Suez,
d'un troisième, constituerait de facto l'avis de décès du Grenelle.
Quelle est profondément la philosophie du Grenelle ? Faire entrer, tout
d'abord, la France dans l'économie de l'éco-efficacité en valorisant
les bâtiments à faible consommation énergétique et les procédés
industriels fondés sur le cycle de vie du produit permettant de réduire
simultanément la consommation de matières premières, l'énergie et les
déchets. Permettre, ensuite, à notre pays de récupérer un peu de son
retard en matière d'énergies renouvelables pour se rapprocher des
objectifs communautaires en la matière et développer un secteur
industriel dans le domaine phare de l'économie du XXIème siècle.
Changer, enfin, le mode de prise de décision en associant les acteurs
de la société civile autour d'un projet de société qui s'inscrirait
dans le développement durable.
Or, le retour au tout nucléaire et à une politique du passage en
force qui a caractérisé la mise en place du programme électronucléaire
dans les années 70 tourne en tout point le dos à cette politique et
rend en réalité impossible la réalisation effective de la loi Grenelle.
En effet, construire trois réacteurs EPR aboutit à augmenter
considérablement l'offre d'électricité et à répéter le scénario
précédent : pas de politique de maîtrise de l'énergie, des coûts
astronomiques pour les logements chauffés à l'électricité, pas
d'industrie du renouvelable.
On pouvait espérer que nos dirigeants avaient compris que le monde
avait changé et les faux-semblants avec. La réalisation de trois EPR
rend totalement virtuel l'objectif de 23% d'énergies renouvelables en
2020 et de 20% d'efficacité énergétique à cette date. En effet, pour
vendre son courant, qui ne se stocke pas, et amortir le coût faramineux
de réalisation des EPR (le prototype finlandais avoisine les 5
milliards d'euros et EDF a dû lui-même reconnaître que le coût de
revient du kilowattheure nucléaire serait compris entre 55 et 60
centimes d'euro), les exploitants, aidés bien entendu par des pouvoirs
publics devenus schizophrènes, vont devoir favoriser la consommation
électrique, c'est-à-dire continuer à promouvoir le chauffage électrique
et lutter contre l'efficacité énergétique.
Ils ont d'ailleurs commencé très activement à le faire avec
l'amendement Ollier, pour éviter que les objectifs d'efficacité
énergétique dans les bâtiments soient applicables aux bâtiments
chauffés à l'énergie électrique d'origine nucléaire. Ils vont continuer
en essayant de dissuader le législateur d'abord, les consommateurs
ensuite, de construire des bâtiments à énergie positive a fortiori à
énergie passive et d'investir dans l'isolation, politique qui
aboutirait à réduire la demande électrique. C'est le secteur du BTP,
celui des matériaux intelligents qui est menacé.
Et pour que l'énergie nucléaire soit vendue, il faut évidemment
qu'elle n'ait pas de concurrents. Il est donc impératif de détruire le
frémissement de développement de l'énergie éolienne et de tuer dans
l'œuf l'essor d'une énergie solaire. D'où la bronca orchestrée contre
l'énergie éolienne et la baisse de tarif de rachat de l'électricité
solaire dans le tertiaire pour tuer la rentabilité des projets qui
étaient en cours.
L'étape suivante sera la contestation du prix du rachat de
l'électricité verte par EDF qui invoquera l'inutilité de cette
électricité compte tenu de l'abondance d'électricité nucléaire. Ainsi,
les projets seront de moins en moins rentables, aléatoires et les
investisseurs les réaliseront partout, sauf en France. Nous n'aurons
donc aucune industrie susceptible de jouer un rôle majeur dans le
secteur des énergies renouvelables et aurons raté, de manière
parfaitement volontariste, la chance de nous inscrire dans l'économie
de demain.
Devenus pourvoyeur de nucléaire dans toute l'Europe et poubelle
nucléaire du même coup, nous mettons en péril nos filières agricoles et
agroalimentaires avec a minima un risque d'image immense. Il suffit de
demander aux agriculteurs de la région du Tricastin ce qu'ils en
pensent ! Dès lors, c'est exactement le contraire du mode de
développement économique que promeut le Grenelle qui est très
clairement programmé.
Pour imposer ce passage en force, il va de soi qu'il n'est pas
possible d'appliquer les nouveaux modes de rationalité économique
promus par le Grenelle, ni de suivre, dans l'esprit et dans les textes,
les procédures de concertation, de participation prévues au niveau
communautaire et transcrites dans les lois Grenelle. Une fois de plus,
une décision industrielle majeure ne repose sur aucune évaluation
indépendante des coûts comparés des différentes filières, des avantages
et des inconvénients directs et indirects qu'elles génèrent, et a
fortiori, aucune prise en considération des conséquences sanitaires et
économiques des déchets n'est prévue. C'est le choix du nucléaire parce
que c'est le choix du prince.
Ainsi, le modèle économique que construit cette orientation tourne
délibérément le dos à tout l'effort mené dans le cadre du Grenelle et
aux politiques suivies par les autres pays du monde, à commencer par
les Etats-Unis. Malheureusement, une fois encore, pour des raisons
idéologiques, la religion du nucléaire, notre pays se trompe d'époque,
se trompe de choix industriels et pour satisfaire nos champions
hexagonaux des lobbies, désormais tous rassemblés, condamne à mort les
éco-industries du XXIème siècle qui avaient cru que le Grenelle leur
ouvrait une nouvelle voie.
Corinne Lepage, ancienne ministre, présidente de Cap 21, vice-présidente du Modem