La mort programmée du Grenelle de l'environnement
La Tribune.fr - 27/01/2009 à 23:38
La décision de relancer le nucléaire, sans concertation et sans évaluation, est contraire à l'esprit et à la lettre du Grenelle de l'environnement. Elle risque de privilégier une consommation électrique tous azimuts, au détriment des objectifs communautaires en matière d'efficacité énergétique et d'énergies renouvelables. Et de compromettre l'émergence d'une industrie "verte" en France, estime Corinne Lepage, ancienne ministre, présidente de Cap 21, vice-présidente du Modem.
L'annonce de la réalisation d'un deuxième réacteur nucléaire EPR, puis, pour être agréable à GDF-Suez, d'un troisième, constituerait de facto l'avis de décès du Grenelle. Quelle est profondément la philosophie du Grenelle ? Faire entrer, tout d'abord, la France dans l'économie de l'éco-efficacité en valorisant les bâtiments à faible consommation énergétique et les procédés industriels fondés sur le cycle de vie du produit permettant de réduire simultanément la consommation de matières premières, l'énergie et les déchets. Permettre, ensuite, à notre pays de récupérer un peu de son retard en matière d'énergies renouvelables pour se rapprocher des objectifs communautaires en la matière et développer un secteur industriel dans le domaine phare de l'économie du XXIème siècle. Changer, enfin, le mode de prise de décision en associant les acteurs de la société civile autour d'un projet de société qui s'inscrirait dans le développement durable.
Or, le retour au tout nucléaire et à une politique du passage en force qui a caractérisé la mise en place du programme électronucléaire dans les années 70 tourne en tout point le dos à cette politique et rend en réalité impossible la réalisation effective de la loi Grenelle. En effet, construire trois réacteurs EPR aboutit à augmenter considérablement l'offre d'électricité et à répéter le scénario précédent : pas de politique de maîtrise de l'énergie, des coûts astronomiques pour les logements chauffés à l'électricité, pas d'industrie du renouvelable.
On pouvait espérer que nos dirigeants avaient compris que le monde avait changé et les faux-semblants avec. La réalisation de trois EPR rend totalement virtuel l'objectif de 23% d'énergies renouvelables en 2020 et de 20% d'efficacité énergétique à cette date. En effet, pour vendre son courant, qui ne se stocke pas, et amortir le coût faramineux de réalisation des EPR (le prototype finlandais avoisine les 5 milliards d'euros et EDF a dû lui-même reconnaître que le coût de revient du kilowattheure nucléaire serait compris entre 55 et 60 centimes d'euro), les exploitants, aidés bien entendu par des pouvoirs publics devenus schizophrènes, vont devoir favoriser la consommation électrique, c'est-à-dire continuer à promouvoir le chauffage électrique et lutter contre l'efficacité énergétique.
Ils ont d'ailleurs commencé très activement à le faire avec l'amendement Ollier, pour éviter que les objectifs d'efficacité énergétique dans les bâtiments soient applicables aux bâtiments chauffés à l'énergie électrique d'origine nucléaire. Ils vont continuer en essayant de dissuader le législateur d'abord, les consommateurs ensuite, de construire des bâtiments à énergie positive a fortiori à énergie passive et d'investir dans l'isolation, politique qui aboutirait à réduire la demande électrique. C'est le secteur du BTP, celui des matériaux intelligents qui est menacé.
Et pour que l'énergie nucléaire soit vendue, il faut évidemment qu'elle n'ait pas de concurrents. Il est donc impératif de détruire le frémissement de développement de l'énergie éolienne et de tuer dans l'œuf l'essor d'une énergie solaire. D'où la bronca orchestrée contre l'énergie éolienne et la baisse de tarif de rachat de l'électricité solaire dans le tertiaire pour tuer la rentabilité des projets qui étaient en cours.
L'étape suivante sera la contestation du prix du rachat de l'électricité verte par EDF qui invoquera l'inutilité de cette électricité compte tenu de l'abondance d'électricité nucléaire. Ainsi, les projets seront de moins en moins rentables, aléatoires et les investisseurs les réaliseront partout, sauf en France. Nous n'aurons donc aucune industrie susceptible de jouer un rôle majeur dans le secteur des énergies renouvelables et aurons raté, de manière parfaitement volontariste, la chance de nous inscrire dans l'économie de demain.
Devenus pourvoyeur de nucléaire dans toute l'Europe et poubelle nucléaire du même coup, nous mettons en péril nos filières agricoles et agroalimentaires avec a minima un risque d'image immense. Il suffit de demander aux agriculteurs de la région du Tricastin ce qu'ils en pensent ! Dès lors, c'est exactement le contraire du mode de développement économique que promeut le Grenelle qui est très clairement programmé.
Pour imposer ce passage en force, il va de soi qu'il n'est pas possible d'appliquer les nouveaux modes de rationalité économique promus par le Grenelle, ni de suivre, dans l'esprit et dans les textes, les procédures de concertation, de participation prévues au niveau communautaire et transcrites dans les lois Grenelle. Une fois de plus, une décision industrielle majeure ne repose sur aucune évaluation indépendante des coûts comparés des différentes filières, des avantages et des inconvénients directs et indirects qu'elles génèrent, et a fortiori, aucune prise en considération des conséquences sanitaires et économiques des déchets n'est prévue. C'est le choix du nucléaire parce que c'est le choix du prince.
Ainsi, le modèle économique que construit cette orientation tourne délibérément le dos à tout l'effort mené dans le cadre du Grenelle et aux politiques suivies par les autres pays du monde, à commencer par les Etats-Unis. Malheureusement, une fois encore, pour des raisons idéologiques, la religion du nucléaire, notre pays se trompe d'époque, se trompe de choix industriels et pour satisfaire nos champions hexagonaux des lobbies, désormais tous rassemblés, condamne à mort les éco-industries du XXIème siècle qui avaient cru que le Grenelle leur ouvrait une nouvelle voie.
Corinne Lepage, ancienne ministre, présidente de Cap 21, vice-présidente du Modem
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